Histoire : Comment Thomas Cook a révolutionné le tourisme ?

Diana Cooper-Richet, Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines (UVSQ) – Université Paris-Saclay

Au moment où la plus vieille agence de voyage, celle inaugurée par Thomas Cook (1808-1892) est sur le point de disparaître – victime, en partie, des vols low-cost, des voyages bradés sur Internet, des sites de location de type Airbnb et de la peur provoquée par la possibilité d’un Brexit – revenons sur l’histoire de son fondateur, ce prêcheur baptiste, originaire de Market Harborough (East Midlands). C’est en 1841 qu’il organise le tout premier « conducted tour » à prix fixe. Il embarque ainsi 500 militants qui souhaitent participer à une rencontre pour lutter contre les ravages de l’alcoolisme dans la classe ouvrière, de Leicester à Loughborough. Son premier voyage organisé avait donc une visée sociale.

Portrait de Thomas Cook. National Library of Wales/Wikipédia

La manne des Expositions universelles

Dix ans plus tard, à l’occasion de la « Great Exhibition » londonienne, première d’une longue série d’expositions universelles, puis à Dublin en 1853, Cook propose des forfaits au départ de la ville de York. Mais la véritable « révolution touristique » intervient lors de la tenue de l’Exposition universelle de 1855 à Paris, une ville qui attire depuis longtemps des visiteurs du monde entier. Cette année-là, la capitale française reçoit 130 000 étrangers, dont 40 000 Britanniques. Lors de l’Exposition universelle de 1867, ce sont entre 55 000 et 60 000 d’entre qui traversent la Manche, parmi lesquels 20 000 « Cookistes » ou « Cooks », comme ils sont rapidement surnommés à l’époque. Les « circular tours » ou circuits touristiques conçus par Thomas Cook, amènent ces voyageurs d’un genre nouveau pour quelques jours – 4 ou 5 –, pour la modique somme de 36 shillings, d’Angleterre en France. Tout est compris : le voyage, le logement, la nourriture et les visites.

Membres des classes moyennes nées avec la Révolution industrielle, ces « touristes » aspirent à participer à ces grands évènements, annonciateurs du tourisme de masse. En 1878, 64 000 Anglais se rendent à Paris pour la nouvelle Exposition universelle et en 1900, ils sont près de 100 000, beaucoup arrivent en groupe. Ils n’ont, pour la plupart, aucune notion de français et ne s’intéressent que peu ou pas à la culture locale. Thomas Cook décrit sa clientèle comme étant composée : « de membres du clergé, de médecins, de banquiers, d’ingénieurs civils et de marchands ». Pour elle, il tente de négocier les meilleurs prix avec les compagnies de chemin de fer.

Il s’efforce également de les loger, notamment à Paris où les hôtels sont onéreux, dans des maisons dans lesquelles ces Anglais peuvent séjourner tous ensemble. Certains d’entre eux sont installés rue de la Faisanderie, où Cook à des locaux bientôt connus sous le nom de Cook’s Anglo-American Exhibition Hotel. En 1867, il loue quatorze maisons dans la capitale pour certains de ses clients. Pour les autres, et afin de ne pas trop les dépayser, il trouve des arrangements avec des hôteliers qui, pour un prix modique offrent les nuitées, mais surtout le petit-déjeuner à l’anglaise avec de la viande : un « meat breakfast ».

La démocratisation du tourisme

Avec l’ouverture de sa succursale parisienne et le lancement de ses propres publications – The Excursionist (1851) un magazine dans lequel les voyageurs peuvent consigner leurs impressions, puis Cook’s Continental Time Table (1874), un petit manuel qui fournit les horaires des trains européens, l’agence élargit considérablement le champ de son activité à l’international. En 1865, à peine dix après les voyages trans-Manche initiaux, Thomas Cook fête son millionième client. Désormais, grâce aux formules bon marché proposées par ses agences, le public en mesure de voyager est quasiment sans limites.

Cook s Timetable. Wikimédia

Ces « touristes », qui tranchent avec les anciens voyageurs cultivés et cosmopolites héritiers du Grand Tour – parcours initiatique que faisaient au XVIIIe siècle à travers l’Europe culturelle les fils de bonne famille venus d’Angleterre –, sont souvent la risée des auteurs de romans populaires. Dans Mrs. Brown’s visit to the Paris exhibition (1878), Arthur Sketchley met en scène une femme du peuple, qui n’a jamais quitté son pays. Venue exclusivement dans la capitale pour parcourir l’Exposition universelle qui se déroule sous le règne de « Louey Filip », elle ne visite rien d’autre. L’histoire des Cockaynes in Paris, or gone abroad (1871) de Blanchard Jerrold est, quant à elle, celle de ces nouveaux bourgeois qui s’encanaillent au Palais-Royal sous le Second Empire.

Thomas Cook et sa compagnie ont longtemps su s’adapter aux nouveaux goûts du public et aux nouveaux modes en matière de voyage. Dans les années 1860, afin de répondre à l’engouement pour les séjours en altitude, pour l’alpinisme et le pyrénéisme, disciplines dans lesquels les Britanniques sont pionniers et excellent, il conçoit les premiers tours organisés à la montagne. Du 26 juin au 15 juillet 1863, il envoie un groupe d’une soixantaine de personnes en Suisse faire un « treck » au Mont-Blanc et à la Mer de Glace, démocratisant ainsi ce qui avait été jusque-là, une activité réservée à une petite élite de sportifs cosmopolites.

Cook a su profiter de l’apparition et du développement des moyens modernes permettant de se déplacer de plus en plus vite et de plus en plus loin – bateaux à vapeur et trains dans un premier temps, avions par la suite. Pour certains, comme Stendhal, ces voyageurs d’un nouveau type – les « touristes » – sont trop nombreux et très peu respectueux de la culture des pays étrangers qu’ils parcourent. L’auteur de La Chartreuse de Parme estime qu’ils profanent les sites. Pour les puristes du voyage culturel, les tours organisés et le tourisme de masse ont banalisé le monde. Pour eux, la connaissance de l’étranger et de sa culture ne sont plus que de vulgaires marchandises.

Les « Cookistes » ont été les premiers à ne rester que quelques jours sur place, à avoir voyagé en groupe afin de ne pas se sentir perdus dans une contrée ou un pays qui ne leur était pas familier, à avoir payé un forfait pour l’ensemble des prestations, ne laissant aucune place à l’improvisation. Cette forme de tourisme, imaginé et organisé par Thomas Cook il y a plus d’un siècle et demi, a prospéré au point d’être aujourd’hui combattu par un certain nombre de villes, comme Venise, Amsterdam et Barcelone, pour ne citer que celles-là. Leurs autorités, alertées par une partie des habitants, envisagent de limiter le nombre de visiteurs journaliers, voire même de leur faire payer un droit d’entrer. Un dilemme pour des cités qui vivent de ce qui est devenu, avec le temps, une véritable industrie !The Conversation

Diana Cooper-Richet, Chercheur au Centre d’histoire culturelle des sociétés contemporaines, Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines (UVSQ) – Université Paris-Saclay

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