Road trip in Crète
La Crète borde la mer Égée comme un long traversin défait de montagnes, de collines, de vallées et plateaux. Elle ferme la grande mer de l'antiquité tout en témoignant des premières civilisations de nos très lointains ancêtres. Elle est un trait sur la Méditerranée entre l'Europe et l'Afrique. Elle fut un lieu de passage pour les grands navigants et colonisateurs que furent les Vénitiens, et les Ottomans. On arrive par Héraklion : la grande ville, la plus agitée, la plus embouteillée. Et on file vers Matala, le village qui regarde vers l'Afrique, celui ou vécurent dans l'amour et la paix, les hippies des années 70. On pense à Cat Stevens ou Bob Dylan. Plus loin, des plages accueillantes sont exemptes du tourisme omniprésent. On peut s'y réfugier à quelques baigneurs et profiter de la douceur maritime, si on a la chance de trouver en plein été un petit camp d'ombre. À moins d'aller louer quelques matelas sous des palmiers avec nos acolytes les touristes. En fait, la crête est plus qu'un traversin déchiqueté par des amoureux excités, c'est un collier avec des perles posées à chaque heure pour ceux qui empruntent une voiture sur la grande national road. Les cités d'origine vénitienne comme Hania ou Réthymnon se disputent leur beauté : laquelle sera la plus séduisante et la plus convoitée ? Agios Nikolaos les regarde de loin, lovée entre la mer et un petit lac dans lequel la déesse Athéna venait se laver les cheveux nous dit la légende.
Quatre chaînes de montagne séparent des plaines et des hauts plateaux. Rien n'est rectiligne, tout est accidenté, la bordure maritime est échancrée avec des baies de toutes tailles, des golfes ou des criques. Les vallées cavalent à perte de vue avec des tours et détours qui nous font croire à un continent. La montagne culmine haut, on peut voir quelques sommets blancs. Des gorges profondes sont impressionnantes et font la joie des randonneurs. Tout est recroquevillé, déchiqueté, débridé, les cailloux sont secs, les végétaux aussi. La pluie est rare mais l'eau est tout autour : c'est le principe d'une île. La mer est omniprésente, limpide et turquoises.
Pins et érables dans les hauteurs, cyprès et platanes sur la côte. Lauriers roses le long des routes, des chèvres en liberté qui barrent la route, quelques moutons.
L'olivier est omniprésent sur la terre crétoise, il appartient à tous les panoramas de l'île. Depuis l'Antiquité, il est considéré comme le symbole de la paix et de la sagesse.
Les champs d'olivier dessinent des tapis à losanges ou rectangles. Orangers, citronniers, et lauriers embaument de leur odeur affriolante le paysage crétois. Les bougainvilliers roses et mauves jalonnent les routes.
On n'est jamais seul ici, le chant des cigales nous accompagne dans nos promenades dans les bosquets ou nos rêveries au bord de la piscine de l'hôtel.
Les routes serpentent, la chaleur estivale éblouit les pare-chocs, les photos sont surexposées. Il faudra revenir à l'heure photographique, lorsque la lumière commence à baisser et que les rayons du soleil ne frappent plus autant les couleurs.
Le ciel est bleu d'azur, à crever le plafond. Pas de nuage en vue, mais un soleil de plomb, plombant les peaux pâles qui virent rouges en à peine une heure, plombant l'énergie de faire mille choses. Mais la Crète est une île grecque qui exige repos, rêverie, gourmandise comme les mezze, l'ouzo, l'huile d'olive.
On pourrait se demander si l'ennui ne gagne pas à force de regarder tous les matins le même ciel si violemment bleu. Cependant, c'est le vent qui fait la différence et module les températures ressenties, rythme les journées selon ses souffles vigoureux ou doucereux. Un vent perpétuel vient adoucir la chaleur méditerranéenne. Le climat chaud et sec est en effet tempéré par des vents que la montagne n'arrête pas. Au nord, le meltemi est une brise légère, au sud s'ajoute parfois le sirocco venant du Sahara. Ce territoire insulaire est à la croisée des vents et des chemins entre Afrique, Asie et bien sûr l'Europe.
La civilisation minoenne fut révélée par un archéologue allemand au XIXe siècle, Schliemann, grâce aux fouilles des sites de Mycènes et de Troie. Après la civilisation minoenne, les invasions romaines, égyptiennes, arabes et byzantines marquèrent la Crète. Elle passa ensuite sous le joug vénitien puis turque, une époque durant laquelle l'empire Ottoman exerça un régime autoritaire violent, jusqu'à une indépendance chèrement payée en 1898 et un rattachement volontaire à la Grèce.
Les sites archéologiques que je visite sont particulièrement écrasés de chaleur, laquelle n'accable pas les cigales qui chantent à tue-tête. Les minoens ont-ils assisté aux mêmes concert ? Il reste des pierres, des chemins, des marches, des amphores et d'autres objets de leur quotidien. La civilisation minoenne constitue nos vraies racines européennes. Phaestos, Malia, et Gournia sont bien plus authentiques que le célèbre Cnossos dont on a reconstitué quelques pièces pour donner à percevoir mieux ce que pouvait donner les vestiges. Néanmoins, comme dirait Cléopatre, l'archéologie n'est pas décor hollywoodien. On regrette ses travaux quand de nos jours on peut profiter de simulateurs en 3D. Mais, bon, on ne peut passer à côté du centaure.
La Crète est le pays de Minotaure, ce personnage mi-homme, mi taureau qui naquit des amours de Pasiphaé, la femme du roi Minos, et d'un taureau blanc. La légende dit que le roi l'avait fait enfermé à Knossos dans un labyrinthe construit par Dédale et qu'il était nourri de chair humaine. La même légende explique que les Athéniens devaient chaque année envoyer 7 jeunes hommes et 7 jeunes filles pour nourrir le monstre. Thésé arrêta ce monstrueux rituel en tuant le Minotaure. Il réussit en outre à sortir du labyrinthe grâce au fil que lui avait offert la belle Ariane. D'où le fil d'Ariane; légende quand tu nous tiens, on se met à penser à Ariane, assis sur les pierres à l'ombre de quelques arbres du site archéologique. Et on se dit qu'on reviendra...
Jean Baptiste André